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Bonne lecture !

31 mars 2014

Le Cauchemar d'une Future PE (ou la satire dans une fiction réaliste)



Repoussant son porte-documents, Camille soupira. AFE, ICM, … et toutes les autres abréviations lui brûlaient la rétine. Heureusement, elle avait un glossaire d’acronymes et un index de thématiques. A 23 heures 31, à J-3, elle avait encore le nez dans ses fiches alors que sa colocataire Sandra – en vacances depuis une semaine – faisait la tournée des bars avec ses camarades de promotion. Elle aurait aimé pouvoir être aussi insouciante mais non, elle préparait un concours et la première étape était « l’éthique et les responsabilités d’un fonctionnaire d’Etat, modèle exemplaire de notre société (…) ». Elle entendait encore Lucie réciter des bribes de cours d’AFE, qu’elle retenait malgré elle en étant plongée dans un autre cours.

Au final, elle se demandait encore quelles raisons faisaient qu’elle – Camille Duchamp, oratrice née et actrice – révisait pour des oraux. Le pire étant que, plus elle révisait et plus tout se mélangeait. L’acquisition de nationalité française se brouillait avec les conditions de résidence et de scolarisation, qui elles se brouillaient avec les actions gouvernementales pour la scolarisation des enfants de l’immigration, qui elles se brouillaient avec les dispositifs pédagogiques des enfants non-francophones, qui … Bref, vous avez compris le truc !

Avisant d’un air confus ses fiches bristol ainsi éparpillées dans le porte-documents béant, Camille songea qu’elle en avait fait suffisamment pour cette longue journée. Elle traîna son corps fatigué vers le canapé-lit qu’elle ne pris même pas la peine de défaire ou de couvrir et se laissa tomber contre les coussins moelleux. Sa tête avait à peine atteint le tissu qu’elle s’endormit d’un sommeil agité.


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Son téléphone sonna avant même le lever du jour … Tirée malgré elle des bras de Morphée et du confort de son canapé, elle décrocha, la voix pâteuse. Entendre Lucie de si bonne heure l’étonna plus qu’elle ne l’eût cru.

« C’est une catastrophe ! » cria-t-elle si fort que Camille dut éloigner le téléphone de son oreille, craignant pour ses tympans. « Une catastrophe … Un cauchemar … ». Lui laissant quelques minutes pour qu’elle s’apaise et lui raconte les raisons d’une pareille agitation, elle ouvrit sa fenêtre sur une belle journée d’été. Elle esquissa un sourire : rien de mal n’arrive jamais en été !

« Les oraux ont été avancés ! » cria encore Lucie, l’arrachant de son agréable rêverie. Camille hurla à son tour dans le téléphone, sans reprendre son souffle. « Quoi ?! Mais c’est le drame, dis-moi que je rêve ! Avancés, mais quand ? Pourquoi ? Et comment ? Qui est au courant ?! ». De toute la cacophonie qui s’en suivit, elle comprit uniquement ceci : « jury … en avance … vacances … pas prête … misère … cet après-midi … rectorat … pas prête … catastrophe … catastrophe … jamais … »

Jetant un coup d’œil succinct à sa montre, elle jura. Le téléphone vola à travers la chambre, l’eau de la douche s’alluma, une porte claqua. Sous la pression, Camille était d’une efficacité légendaire – mais elle détestait se presser comme ça. Faisant fi des apparences, elle sauta hors de l’eau pour emmêler ses cheveux bruns dans un chignon négligé et passer son tailleur gris : une classe sans classe, observa-t-elle en rassemblant ses affaires.


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En deux heures, elle avait atteint les bureaux du rectorat où elle devait passer deux oraux consécutifs avec M. Poyet – une légende de l’enseignement. Les bouchons avaient été facilement dépassés avec les routes de campagne et elle s’était arrêté pour un dernier café sur l’aire d’autoroute en relisant ses fiches. Elle en arriva sereine et détendue.

« Numéro ? » couina la secrétaire aigrie de l’entrée.
« 911 806 36 33. » Camille récita ce numéro comme rien, il fallait dire qu’elle s’en souvenait encore des écrits. Mais si elle l’avait appris, c’était surtout parce que cette année était la bonne. Elle le sentait. Guillerette, elle souhaita une bonne journée aux dignitaires qu’elle croisa dans le hall et à la femme de ménage – pardon, technicienne de surface – qui vidait les ordures.

Lorsque le fameux M. Poyet appela son numéro, elle entra dans la salle en souriant. Puis … se ravisa. Les membres du jury avaient une expression dramatique, sérieuse. Mieux valait-il être comme eux ! On lui désigna la chaise au milieu de cette immense salle, il n’y avait aucun autre arrangement. Ni bureau, ni fournitures. Etrange … Elle s’assit et un flash de lumière l’aveugla. Les questions se mirent à fuser comme les tirs d’une mitraillette, sans qu’elle ne les comprenne.

« Nationalité … Autorisation … Sortie sans nuitée … Refus … Convaincre … Principes de l’œuvre scolaire … Contribution … Argumentation ? ». La réelle question était : « Sans qu’on y évoque sa nationalité, un enfant d’origine algérienne n’a pas l’autorisation de ses parents pour se joindre à une sortie sans nuitée organisée dans votre programmation. Devant ce refus, vous tentez de convaincre les parents. Quels principes de l’œuvre scolaire mettriez-vous à contribution de votre argumentation ? ». Mais ça, Camille ne l'apprit que la semaine suivante.

Un ange passa. La gorge de Camille était serrée au point qu’aucun son ne sortait et elle se débattit furieusement avec ses cordes vocales, n’émettant que de temps à autre un feulement rauque comme un chat qu’on aurait énervé. Elle voulut crier et demander de l’aide, mais elle ne contrôlait plus rien.

« Vous êtes nulle, Mademoiselle Duchamp, nulle. Recalée ! Et puis cette tenue, ô Seigneur … » persifla M. Poyet, dont le crâne était maintenant recouvert d’une grotesque perruque de juriste poussiéreuse. Il ne lui aurait manqué qu’un marteau.

Honteuse, Camille baissa les yeux en ravalant ses larmes. Oh non ! Elle était partie en chaussons !


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