« Pourquoi
tu m'as demandé si j'avais le temps ? »
« Il
faut que je te parle, histoire de mettre au clair certaines choses. »
« Je
dois être de retour au boulot dans 30 minutes. »
« Oui,
mais ça suffira amplement. »
Elle
fronça les sourcils, soupira. Le sens du dialogue, elle maîtrisait
depuis qu'elle était haute comme trois pommes. Mettre les mots en
phrases, les phrases en paragraphes et les paragraphes en texte,
c'était ce qu'elle préférait. Pourtant, en face à face, c'était
plus dur qu'elle n'aurait cru.
« Je
sais que c'est un jeu, pour toi. Je sais ça depuis longtemps, depuis
le début, je crois. Je n'ai jamais rien dit, parce que je pensais
que tu ne t'en rendais pas compte. Mais je sais que tu sais, tu
savais pertinemment que je t'aimais pendant tout ce temps et tu n'as
jamais rien dit. Je t'aimais, oui. Tu as repoussé les limites, tu
m'as offert des occasions de t'en parler, mais je n'ai jamais rien
dit et aujourd'hui je comprends que ce n'est pas plus mal comme ça.
J'ai comme la curieuse impression que tu me testais, mais dans quel
but ? Tu voulais que j'assume, que je t'en parle peut-être ? Et
quoi, après ? Tu m'aurais encore eu à l'usure, à me mener en
bateau comme tu l'as fait pendant trois ans. Tu m'aurais fait me
raccrocher à d'infimes espoirs, d'infimes illusions, en sachant
pourtant que tu me faisais plus de mal que de bien. Tu l'aurais
fait... tout ça, ne le nie pas, tu l'aurais fait par égoïsme, pour
satisfaire ton putain d'égo que j'ai passé de nombreuses heures à
entretenir en te faisant des compliments que tu ne méritais pas !
Ton putain d'égo, celui que tu mets en avant en jouant à la femme
forte et fière, alors que tu as aussi des faiblesses et qu'en une
seconde celui qui jouerait avec trouverait le moyen de faire
s'écrouler ton petit monde de paillettes.
Les gens t'admirent, tu le
sais. Je t'admirais aussi, mais maintenant j'ai eu cette vision de
l'envers du décor, je sais que tu joues avec eux comme tu joues
encore avec moi. Tu as pris une partie des vacances pour m'ignorer,
pour me faire ramper devant toi comme une larve visqueuse, mais tu as
commis l'erreur qui entraînera des conséquences, aujourd'hui ! Ce
message, ta réponse à mes souhaits, tu ne pensais pas écrire ça.
Ce n'était même pas vraiment ton genre, ce message avec des coeurs
et des points d'exclamations. Tu es trop indifférente pour exprimer
quelque chose avec une once de sincérité, surtout lorsque ça me
concerne et qu'implicitement ça te concerne aussi. Je sais même que
tu ne pensais pas écrire du tout, en fait. L'alcool ! Voilà la
belle excuse, la cause de ton échec, la raison de ce message que je
n'attendais pas. En réalité, tu étais tellement éméchée que tu
as oublié que tu passais ton temps à m'ignorer ! Lorsque tu as
repris tes esprits, tu as recommencé ton petit manège insolent et
tes caprices... mais j'avais compris depuis le temps et ce coup du
sort n'a fait que confirmer ce que je savais depuis le début.
C'était un jeu, un putain de jeu ! Tu ne te rends même pas compte
du mal que ça m'a fait, mais l'essentiel, c'est que j'ai compris à
quoi m'en tenir avec une personne dans ton genre. Garde tes belles
paroles, va. Elles ne changeront plus rien, puisque le dégoût que
je ressens en te regardant pleurer est insurmontable et me donne
envie de vomir ! Tu voulais jouer à la grande dame, en me poussant à
bout de nerfs, mais ça ma belle, c'est ce que j'appelle un retour de
manivelle. Je sais que ça ne te fera même pas autant de mal que ça
m'en a fait, je sais que j'aurais du être un peu plus cruelle et un
peu plus sadique, mais pour moi, c'est une victoire. Tu n'as plus
rien à faire dans ma vie ! »
Sur
ces paroles empreintes de résolution, elle se leva et tourna les
talons. Un sourire se figea sur ses lèvres lorsqu'elle réalisa
qu'elle n'avait pas cédé, qu'elle ne s'était pas laissée
attendrir... Elle marcha, la tête haute pour la première fois
depuis bien longtemps.
« Je
t'aime ... »
C'est
ça, cause toujours !